Clonage vocal, vidéos truquées (deepfakes) : huit conseils pour rester crédible à l’ère de l’IA

[Smart Click Africa] – Les journalistes et professionnels des médias du monde entier ont célébré, ce 3 mai 2025, la Journée mondiale de la liberté de la presse. À Yaoundé, au Cameroun, des femmes journalistes ont partagé leurs expériences avec les plus jeunes et les aspirants au métier de journaliste. À Douala, d’autres journalistes ont été sensibilisés aux enjeux de l’IA.

Si cette journée est l’occasion pour les journalistes de rappeler aux gouvernements la nécessité de respecter leur engagement en faveur de la liberté de la presse, c’est aussi un moment de réflexion entre professionnels sur les questions d’éthique et de déontologie.

Cette année, le thème retenu est : « Informer dans un monde complexe : l’impact de l’intelligence artificielle sur la liberté de la presse et les médias »

En effet, les professionnels des médias et les Nations Unies s’accordent à reconnaître que l’émergence de l’IA et des systèmes avancés d’apprentissage automatique, impulsée par la révolution technologique, a profondément modifié la manière dont l’information est collectée, organisée, traitée, produite, diffusée et rendue accessible. Si ces technologies facilitent le travail de nombreux journalistes, elles introduisent aussi de nouveaux défis : éthique, responsabilité, mésinformation, désinformation. Autant d’éléments contraires aux principes fondamentaux du journalisme.

Aujourd’hui, des documents officiels sont reproduits et altérés avec une similitude troublante, des voix de personnalités clonées à volonté et des vidéos manipulées à l’aide d’outils IA de plus en plus performants. C’est l’ère des deepfakes.

Le risque de manipulation est réel, notamment pour les journalistes peu avertis ou ignorants des bases du métier et des outils IA de vérification.

Pour António Guterres, secrétaire général des Nations Unies, avec ces technologies, « la liberté de la presse fait face à une menace sans précédent ». Il souligne dans son message aux journalistes et aux gouvernements du 3 mai 2025 que l’intelligence artificielle peut tantôt favoriser la liberté d’expression, tantôt l’étouffer.

« Les biais algorithmiques, les mensonges purs et simples et les discours de haine sont autant de mines disséminées sur l’autoroute de l’information. Pour les désamorcer, rien de tel que des informations factuellement exactes et vérifiables. \[…] L’intelligence artificielle doit être façonnée de manière à favoriser le respect des droits humains et à donner la priorité aux faits », recommande-t-il.                                                                                                                            

Même son de cloche au Cameroun avec le ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi. Dans un message adressé aux journalistes à cette occasion, il recommande de mieux maitriser les outils IA. « C’est avec beaucoup de circonspection que le microcosme des médias doit tirer avantage des vertus de l’intelligence artificielle. Je vous exhorte donc, à insérer désormais l’intelligence artificielle au cœur de vos priorités professionnelles, tout en vous préservant des dangers qu’elle peut comporter par ailleurs, lorsqu’elle n’est pas suffisamment maîtrisée. Car l’intelligence artificielle doit être utilisée de manière à promouvoir la liberté d’expression et le respect des droits humains, plutôt que de travestir de telles valeurs », prône-t-il.                                                                               

Des risques graves pour les journalistes et créateurs de contenus

Pour désamorcer les risques de manipulation, de désinformation et de mésinformation alimentés par l’IA, l’association Smart Click Africa, engagée pour un usage responsable du numérique, propose quelques recommandations aux journalistes et créateurs de contenus, y compris ceux qui ne sont pas journalistes mais très influents sur le web.

Au Cameroun, le Conseil national de la communication (CNC) considère comme médias les personnes disposant de plus de 20 000 abonnés sur les plateformes sociales. Ces créateurs sont donc aussi concernés par les exigences en matière de véracité de l’information.

Les usurpations vocales — recréation de voix via IA à partir d’un simple enregistrement de 10 secondes — deviennent courantes. Journalistes, créateurs ou internautes, personne n’est à l’abri.

De nombreux sites et outils IA permettent de cloner voix et vidéos. Certains hébergent même des banques de voix de personnalités déjà prêtes à l’emploi. Une fois clonée, l’IA peut générer des conversations entières, imitant parfaitement une personnalité. Idem pour les vidéos truquées (deepfakes).

Il suffit à un manipulateur de récupérer 10 secondes de votre voix sur TikTok ou YouTube pour générer une fausse déclaration ou une fausse demande. En Inde, certains hommes d’affaires ont ainsi été escroqués via de faux appels émanant prétendument de l’ambassade à Dubaï. Aux États-Unis, des voix d’enfants ont été clonées pour simuler des enlèvements et extorquer des rançons à leurs parents.

Pour les médias et créateurs de contenus, des risques majeurs :

1.        Désinformation : les deepfakes permettent d’attribuer de faux propos à des personnalités publiques, compromettant la véracité de l’information.

2.      Crédibilité perdue : un média qui relaie un deepfake risque de perdre la confiance de son public et de ses partenaires. Corriger un contenu manipulé ne suffit souvent pas à réparer les dégâts causés.

3.        Manipulation politique : au Cameroun, à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2025, les risques de manipulation sont accrus.

Huit conseils pour identifier et éviter les deepfakes vidéos et vocaux

1. Vérifiez les sources

Base du journalisme : ne jamais se fier à une seule source. Recoupez les informations. Contactez les personnes autorisées. Restez prudent face à toute information inhabituelle.

2. Recoupez avec rigueur

Comparez les contenus suspects à des versions officielles. Ne vous fiez pas aux messages WhatsApp. Discutez au téléphone ou en face à face, posez des questions complexes pour déjouer les usurpations vocales.

2.a) Attention à l’arnaque par permutation de carte SIM (SIM swap)

Il faut recouper avec rigueur, parce que des cybercriminels peuvent transférer le numéro de votre interlocuteur sur une autre carte SIM en trompant votre opérateur. Cela permet d’accéder à ses autres comptes via les SMS de vérification.

C’est ce qu’on appelle l’arnaque de permutation de carte SIM (Sim Card Swap Scams, en anglais).

Une escroquerie de permutation de carte SIM réussit après deux escroqueries :  

a)      Premièrement, le cybercriminel trompe votre opérateur télécoms pour transférer votre numéro de téléphone sur une carte SIM sous son contrôle.  

b) Ensuite, une fois qu’il contrôle votre numéro de téléphone, l’escroc l’utilise pour pirater vos comptes sensibles, comme les comptes bancaires, qui utilisent l’authentification multi-facteurs par SMS. 

Pour éviter les ravages de l’arnaque de permutation de carte SIM, il est recommandé d’utiliser l’authentification multi-facteurs non pas par SMS, mais via les applications de génération de codes comme Authenticator. Et surtout, aller rapidement chez son opérateur mobile avec les pièces nécessaires lorsque vous constatez que votre carte SIM est invalide, ne reçoit ni appels ni SMS.

Vous vous demandez sans doute comment le cybercriminel arrive à tromper votre opérateur mobile. C’est vrai qu’il peut arriver des rares cas où il y a une défaillance chez votre opérateur mobile après une vaste attaque informatique ou encore par le fait des employés véreux.

Mais, la plupart du temps, le cybercriminel utilise simplement vos informations personnelles. Cela peut inclure votre nom, votre adresse, des informations de carte de crédit ou d’autres infos personnelles. Ces données peuvent être volées de plusieurs manières : 

  • Vous avez été victime d’une attaque de phishing (hameçonnage) 
  • Vos données ont été perdues lors d’une violation de données et vendues au pirate 
  • Vous avez posté des informations sensibles sur les réseaux sociaux ou ailleurs en ligne 

Faites également attention lorsque vous recoupez une information via WhatsApp. Le cybercriminel peut avoir cloné le compte WhatsApp de la victime, répondreà ses messages ou encore envoyer des messages de détresse ou d’escroquerie à ses proches.

3.      Analysez les incohérences visuelles.

Mouvements de lèvres, expressions figées, décalage image/son sont des signes fréquents de deepfake vidéo.

4. Écoutez les intonations.

Les voix clonées manquent souvent de fluidité ou d’émotions naturelles.

5. Provoquez des émotions réelles

Les cris, rires, exclamations, pleurs sont pour le moment difficiles à simuler pour les IA. Suscitez-les et écoutez-le minutieusement pour tester la véracité d’un appel.

6. Vérifiez les métadonnées

Les fichiers contiennent des infos sur leur origine. Des outils existent pour extraire ces données.

  1. Utilisez des outils de détection IA

Comme les créateurs de deepfakes, utilisez les outils IA pour lutter contre les deepfakes. Des logiciels existent pour détecter les manipulations numériques dans les fichiers multimédias, notamment les deepfakes vidéos et vocaux. Ce sont aussi des outils de fact-checking spécialisés pour analyser les contenus suspects.

Il y en a plusieurs. Certains payants et d’autres gratuits.

Quelques outils gratuits recommandés :

– WhiSpeak (whispeak.io) pour déceler les deepfakes vocaux (15 secondes à uploader pour vérification)

– InVid WeVerify, une extension développée par le projet EnVisu4 financé par la Fact-Checking Innovative Initiative. Ce plugin que vous installez facilement comme extension sur votre navigateur web aide à factchecker les deepfakes vidéos et à extraire les métadonnées des vidéos et images. Il propose également des tutoriels, cours et jeux pour mieux lutter contre les FakeNews.

– Deepware (Deepware.Ai) pour scanner et détecter les deepfakes vidéos

Il est aussi recommandé d’utiliser les outils IA robustes et payants comme Sensity AI (sensity.ai) ou Reality Defender (realitydefender.com). De nombreux outils gratuits de détection des deepfakes n’ont pas toutes les fois les mêmes précisions et ne sont pas toujours aussi à jour que les solutions commerciales. La technologie deepfake progresse constamment et il faut en effet des ressources pour mettre continuellement à jour les solutions technologiques utilisées.

8.        Et surtout : sensibilisez votre entourage !

La meilleure défense collective passe par la sensibilisation. Informez vos proches. Partagez cet article. Vous serez peut-être la raison pour laquelle un proche évitera une escroquerie ou une manipulation numérique.

Si vous êtes conscient des dangers, ce n’est pas certain que vos amis, vos collègues, votre conjoint ou les membres de votre famille soient au même niveau de connaissance et d’information. Ils peuvent être de futures victimes et, par ricochet, vous également. Avec quelques dégâts que vous serez peut-être appelés à résoudre. Partagez !

Par Beaugas-Orain DJOYUM, président de l’association Smart Click Africa

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