Quand les « fake news » menacent la réputation des marques

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Longtemps cantonnées à l’arène politique, les fausses nouvelles affectent désormais les entreprises. Décryptage de ce fléau des temps numériques.

Même le pape François en a fait son prochain cheval de bataille. Le 29 septembre 2017, le souverain pontife a officiellement tweeté que les « fake news » – ces fausses nouvelles se parant des codes journalistiques pour tromper l’opinion publique – seraient à l’ordre du jour de la 52e Journée mondiale des communications sociales (le 13 mai 2018), à l’initiative du Vatican. Le pape a signé son tweet d’un verset de l’Evangile : « La vérité vous rendra libre » (Jn 8, 32).

Il existe un dénominateur commun aux fausses nouvelles : la confiance très réduite de l’opinion publique à l’égard des médias traditionnels, et plus généralement de ceux qui sont les dépositaires de la parole publique. Cette suspicion n’est pas nouvelle et les médias ont leur part de responsabilité. En France, tout le monde garde en tête l’histoire du nuage radioactif de Tchernobyl, qui aurait, selon les autorités et la presse, épargné le pays, alors que tout prouvait scientifiquement le contraire. De quoi décrédibiliser les tenants de ce discours, et semer le doute dans les esprits.

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A mesure que la défiance croît, elle devient une arme politique. Donald Trump morigène à longueur de temps les journalistes et accuse régulièrement la chaîne d’information CNN de répandre des « fake news ». Dernier esclandre en date : la menace de retirer à NBC sa licence, après la publication d’une information relative à l’arsenal nucléaire américain.

Le greenwashing alimente la défiance

Côté communication, certaines dérives ont également alimenté la défiance. Entre verrouillage à triple tour des discours et communication enjolivée à l’excès, marques et entreprises n’ont pas toujours marqué des points. Une des illustrations les plus marquantes est le « greenwashing » auquel se sont longtemps adonnées les compagnies pétrolières pour faire croire que leurs activités n’avaient pas un impact environnemental aussi fort que le prétendaient les ONG écologistes.

Aujourd’hui, il faudrait sans doute une encyclopédie pour recenser in extenso les foyers où se concoctent les « fake news ». Néanmoins, on peut distinguer quelques grandes catégories assez récurrentes dont le terrain d’action privilégié est le Web social. En premier lieu, on trouve des groupes d’activistes. Qu’ils soient trois ou une centaine, ils cherchent surtout à se servir des réseaux sociaux pour démultiplier leur audience, générer du bruit autour de la cause qu’ils entendent faire connaître et, si possible, avoir un écho dans les médias traditionnels.

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Une panoplie de techniques à disposition 

Pour cela, ils peuvent employer diverses techniques. Certains vont chercher un appui auprès d’un influenceur : journaliste, politique, célébrité… Il va reprendre à son compte l’information reçue et lui conférer un poids supplémentaire de par sa notoriété, et, pourquoi pas, répandre la « fake news » sur des forums en ligne. Et puis, il y a des usages plus sophistiqués comme le recours aux bots et aux algorithmes pour propager ces nouvelles de manière artificielle, avec de faux profils Facebook par exemple.

Une deuxième catégorie est aussi à la manœuvre avec des moyens sensiblement plus importants : les sites de contre-information, de réinformation, d’alter-information, etc. Tous ces libellés largement mis en avant auprès des lecteurs prospèrent sur le postulat que l’on ment totalement à l’opinion publique, qu’on lui cache la vérité et qu’on la manipule notamment à travers les médias traditionnels qui sont de mèche avec l’élite et l’oligarchie.

Une troisième catégorie est aujourd’hui en train d’émerger : l’utilisation de l’intelligence artificielle pour fabriquer de faux discours. En juillet 2017, des scientifiques de l’université de Washington sont en effet parvenus à créer une fausse allocution filmée de Barack Obama. Les chercheurs ont isolé des extraits audio issus d’interviews de l’ancien président, qu’ils ont montés pour recréer un discours. Ils ont ensuite travaillé à modifier le mouvement des lèvres du président filmé à l’occasion d’un point presse, afin de créer une illusion parfaite. L’effet est effectivement bluffant et suscite de nombreuses questions, notamment sur son possible détournement à des fins de désinformation.

Les marques dorénavant ciblées

Longtemps, communicants et marketeurs se sont pensés à l’abri des « fake news ». A l’été 2017, la célèbre enseigne de café Starbucks en a pourtant fait les frais. Connu pour son engagement sur les questions sociétales, voire politiques aux Etats-Unis, le groupe s’est retrouvé confronté à la propagation sur les réseaux sociaux d’une campagne fabriquée de toutes pièces baptisée « Dreamer Day ». Emanant du forum anonyme 4chan, elle faisait miroiter aux sans-papiers séjournant aux USA le droit de bénéficier d’une réduction de 40% dans les magasins de la chaîne, le 11 août 2017 (vraisemblablement dans le but de semer la discorde au sein des partisans de l’immigration). L’enseigne est parvenu à juguler l’intox en réagissant rapidement aux internautes sur Twitter, mais nul doute que d’autres vagues de « fake news » similaires affecteront prochainement d’autres marques. D’où l’importance d’exercer une veille en ligne scrupuleuse pour être en capacité de réagir avant même que la « fake news » ne prenne de la consistance (lire aussi la chronique : « Communication de crise : priorité à l’interne »).

Les médias développent le fact-checking

Il existe heureusement nombre d’antidotes aux « fake news ». Aux USA, un site comme Snopes s’évertue inlassablement à les décrypter. En 2016, c’est lui qui a démasqué le mensonge émanant d’un site Web pro-Trump annonçant que le pape François apportait son soutien à la campagne de l’actuel hôte de la Maison Blanche. En France, un site comme HoaxBuster opère sur les mêmes principes. Malheureusement, ces médias n’ont pas une forte notoriété au sein de l’opinion publique. Rares sont ceux, en effet, qui les consultent avant de partager du contenu à toute volée.

Les médias s’organisent aussi avec la mise en place de dispositif de fact-checking. Début 2017, Le Monde a lancé Decodex, un moteur de recherche pour vérifier la fiabilité des sites d’information. Longtemps restés passives face aux « fake news », les Gafa agissent à leur tour même si, pour l’instant, tout n’a pas été pas couronné de succès. Facebook (que Donald Trump a accusé d’être contre lui), a par exemple mis en place un dispositif pour permettre aux utilisateurs de signaler des informations suspectes. Vérifiés par les médias partenaires, les contenus sont alors retirés si les fact-checkers les jugent faux.

L’éducation, un remède à la désinformation

Si les « fake news » se portent si bien, c’est aussi parce que l’on consomme l’information comme un hamburger avalé en 30 secondes. Ce nivellement informationnel constitue un terreau fertile où plus rien n’est hiérarchisé et où tout est mis en doute, même les évidences. A cet égard, la fondation Mozilla, éditrice du navigateur Firefox, vient de proposer une initiative très intéressante baptisée « Mozilla information trust initiative » (Miti). Il s’agit d’une batterie d’outils pour lutter contre la désinformation sur Internet. Mais, point essentiel, elle vise à éduquer les internautes en leur donnant des outils pour décrypter la fiabilité des informations lues sur la Toile, et à financer des recherches universitaires sur le phénomène.

Outre la confiance chahutée envers les médias, les jeunes générations reçoivent bien souvent peu d’éducation sur l’information, sa fabrication et sa contextualisation. Il existe certes quelques actions en France pour expliquer comment fonctionnent les médias traditionnels : l’« Education aux médias et à l’information » (EMI) a ainsi été rendue obligatoire au collège par la loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013. L’initiative Mediaeducation.fr lancée en 2014, vise quant à elle à fédérer journalistes et établissements pour mettre en place des projets d’éducation à l’information. C’est sans doute en contribuant à soutenir des projets de ce type que les Gafa pourraient également être les plus utiles.

Du côté des communicants et des journalistes, la responsabilité est également majeure. Bien qu’il existe des chartes déontologiques professionnelles, trop de journalistes travaillent encore dans l’approximation. Idem chez les communicants, où les bons vieux réflexes d’occulter des informations ou de les biaiser ont la vie dure. Donnant par la même du grain à moudre à ceux qui fabriquent des « fake news ». Une situation qui doit changer, car il en va de l’avenir de la confiance dans l’information en ligne.

Par Olivier Cimelière

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